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Je n'avais pas encore mes enfants, je n'avais pas encore de cheveux blancs, ni suffisamment d’assurance en moi. Toute mon énergie était canalisée vers ma fac d'histoire et mon chéri.

Mais je me souviens très bien du moment où Bérénice m'a demandée, pour la première fois, de raconter son histoire - aujourd'hui, quand un auteur dit qu’il entend ses personnages, je le crois sans doute - à moment-là, je vus une petite fille qui avait de l’aplomb, était vêtue d’habits de bergère, vivait à l’époque de la Rome antique et qui me regardait de la ... Cappadoce.

Et comme ça, avec tous ces détails, je restai quelques jours intriguée par cette image et finis par lâcher prise.

Néanmoins, Bérénice continua à me quémander encore et encore. "Viens", me dit-elle, "je vais te parler d'une rencontre inattendue qui a changé ma vie". Cette fois-ci, la bergère était accompagnée d’un vieil homme qui avait un regard très profond. Tous deux semblaient déterminés et je n'eus d'autre choix que d'écouter leur histoire. C’est ainsi que j’aie commencé à écrire le premier chapitre de « Bérénice de Cappadoce: la jourée du non-héros ».

Ensuite vint mon mariage, la remise de diplôme, les enfants, le changement de pays, le retour au Brésil et tant d'autres choses qui nous absorbent jour après jour, jusqu'à l’accumulation d’années. Mais pendant toutes ces années, Bérénice était là, en arrière-plan, vieillissant avec moi.

Il y a deux ans, nous décidâmes de rentrer définitivement en France. Je quitte mon travail et prend la décision claire et nette : c’est le moment d'écrire, d'écouter ce que Berenice avait à me dire et de partager son histoire avec quiconque voudrait l'entendre.

Ce furent, au moins, quinze ans d'attente mais qui furent, je le vois aujourd’hui, fondamentaux pour que je comprenne mieux où j'allais. Je voulais que le lecteur puisse voyager dans la Rome Antique, dans ce pays étonnant et énigmatique qu'est la Cappadoce. Et je voulais, qu'au cours de ce voyage, chacun découvre finalement sa propre histoire car - comme la plupart des personnes anonymes que nous sommes vous, moi et tant d'autres - Bérénice n'est pas une héroïne. Rien dans son monde n'est magique et elle ne reçut aucun appel à l'héroïsme.

Mais à sa manière, par les choix qu’elle fît et faisant face à toutes les difficultés, elle eut une vie extraordinaire. Et croyez-moi, nous tous avons une vie remarquable.


Le jour se lève dans quelques instants sur la gare bondée. Sur le quai, la foule s'agite dans les derniers préparatifs. Certains sont munis de tout le nécessaire pour répondre aux besoins du voyage, d'autres n'en portent rien. Mais bien que chacun ait des bagages différents, tous voyageront dans le même wagon. Pas de retard ni d'arrivée prématurée : tout se déroule de manière très organisée et ponctuelle. Cependant, aucun passager n'a reçu d'informations sur le déroulement du voyage.


Le train arrive enfin et tous les voyageurs montent à bord. Les sièges sont déterminés par le type de billet, préalablement acheté non pas par les passagers eux-mêmes mais par leur famille. Il y a évidemment quelques rares occupants à qui le billet a été légué par leur famille fortunée: ceux-ci disposent de sièges confortables, spacieux et privés. Ces installations sont si remarquables et si peu nombreuses qu'elles finissent par constituer une anomalie, comme si elles appartenaient à un autre train. Cependant, la grande majorité des passagers occupent des sièges ordinaires.


En effet, vus de loin tous les sièges sont égaux. Mais au cours de ce long voyage les détails comptent pour beaucoup, étant donné que certains sièges sont propres, rembourrés de façon impeccable, tandis que d'autres sont usés et troués, aux ressorts apparents qui provoquent dès la simple gêne à des inconforts importants. Certains sièges sont tellement endommagés qu'ils entraîneront le débarquement prématuré de nombreux passagers.

On pourrait s'attendre à ce que des sièges confortables assureraient à leurs occupants un voyage sans incident, mais en cours de route eux aussi pourront finir par ressentir un certain inconfort. Il n'y a pas de sièges parfaits !


Une fois que chacun est à sa place, le train commence son long voyage. Le point d'origine et la destination finale n'ont que peu d'importance : ce qui compte pour tous, c'est le voyage.

Et les passagers, qui sont-ils ? En apparence, ils sont tous les mêmes. Il ne serait pas exagéré de dire que quand on en a vu un, on les a tous vus. Il y a quelques détails ici et là, mais vus de loin, ils forment un seul groupe, quelle que soit la place qu'ils occupent. Ce qui les distingue, ce ne sont pas leurs caractéristiques physiques, mais leur personnalité. En effet, le tempérament, l'attitude et l'adaptabilité diront à chacun si le voyage sera une réussite ou un échec.


Mais il n'y a pas d'espace réservé pour chaque catégorie. Il n'y a pas le wagon des insatisfaits, des joyeux, des belliqueux, etc. Non ! Tous voyagent ensemble et mélangés. N'oublions pas : c'est le même train pour TOUS.


Ce qui signifie qu'en cours de route chacun devra trouver des moyens de s'entendre avec les autres. Et c'est là que le voyage devient intéressant. Chaque passager doit non seulement répondre à ses propres besoins et attentes, mais aussi à ceux de son voisin de siège, de rangée, de voiture et de tout le train, car de très nombreux voyageurs finissent par changer de siège le long du trajet. Voyons comment certains vont vivre cette expérience.


Assise à la fenêtre, il y a une personne qui observe tout. Aucun détail n'échappe à ses yeux et elle analyse le comportement de chaque passager.

Elle attend des autres passagers une certaine attitude qu'elle est la seule à en connaître. C'est une personne très critique envers l'autre, mais aussi envers elle-même. Son voyage risque d'être insatisfaisant, car il y a de fortes chances que ses attentes ne soient jamais comblées. Cette personne est tellement occupée dans son monde de critique qu'elle ne regarde même pas le paysage qui se déroule par la fenêtre. A la fin du voyage, elle sera incapable de dire si le trajet a été beau ou moche.


Bon nombre de familles voyage ensemble. Pour eux, le parcours se déroule sans encombre et tout le monde se sent à l'aise à sa place. On dirait que rien ne peut gâcher leur expérience. Mais il y a de nombreux arrêts et dans l'un d'eux, sans que personne ne comprenne pourquoi, certains membres descendent pour ne plus réembarquer. Lorsque le train reprend son itinéraire, ceux qui continuent sont complètement perdus. Au bout d'un certain temps, certaines familles parviennent à retrouver leur place et leur sérénité. Ils continuent, peut-être moins heureux qu'avant, car ils préféreraient rester ensemble, mais ils parviennent tout de même à apprécier le voyage. Pour d'autres, la confusion causée par le départ d'un proche est bouleversante. Ils ne sont plus capables de se réorienter et finissent par ne plus trouver leur place, se dispersant le long des wagons. Il y a même ceux pour qui le manque est si grand qu'ils perdent complètement l'intérêt pour le reste du voyage.


De nombreux sièges sont occupés par des passagers très exigeants. Ce sont des personnes qui espèrent que leurs besoins soient satisfaits en permanence. Ils sont tellement occupés par eux-mêmes qu'ils ne remarquent même pas l'existence des autres passagers. Au moindre malaise ou désagrément, ils demandent à voix haute que quelqu'un règle le problème. Certains de ces passagers arrivent à trouver quelqu'un pour les assister, mais une grande partie d'entre eux finissent le voyage seuls : leurs voisins, fatigués de tant de demandes et ayant d'autres choses à faire, finissent par changer de place.


A l'opposé des exigeants on trouve ceux qui passent tout leur temps à s'occuper des besoins d'autrui. Ils semblent toujours joyeux et prêts à renoncer à leur tranquillité pour aider leur entourage. Parmi ces personnes, il y a celles qui le font si naturellement qu'il est évident que l'altruisme fait partie de leur bagage. Pour eux, le bien-être général détermine le plaisir du voyage. Mais tous les passagers souriants et serviables n'agissent pas aussi naturellement. Beaucoup le font pour éviter d'avoir à affronter leur propre expérience de voyage. En général, ils sont insatisfaits de leur siège et s'accrocher à quelqu'un d'autre leur évite d'avoir à y rester assis. Le problème c'est que ces gens finissent non seulement par imposer leur sollicitude, mais ils attendent aussi de la gratitude et de la reconnaissance pour une aide qui n'a généralement pas été sollicitée. Voyager à leurs côtés devient fatigant.


Une autre catégorie — et pas des moindres — est celle des anxieux. Même si personne dans le train ne sait d'où ceci part et où il va, ces gens passent tout le trajet à se demander qu'est-ce qui va arriver au prochain virage. Certains sont si agités qu'ils se tiennent à l'avant du wagon, le visage collé contre la vitre, cherchant à voir ce qui se passe devant eux. Le problème c'est que leur champ de vision est limité et ils risquent de mal interpréter ce qu'ils voient : un simple nuage gris peut prendre l'allure d'un orage et un rayon de soleil crée l'illusion d'un ciel sans encombre. À cause de cette peur de l'inconnu, certains se placent à l'arrière du wagon, regardant le trajet passé, nostalgiques d'un chemin déjà parcouru, qui n'était pas forcément bon, mais qui pour être familier leur apporte du réconfort. Ces passagers finiront par rater l'occasion de profiter de tant de choses intéressantes qui se passent à l'intérieur du wagon dans lequel ils voyagent.


Un groupe curieux sont les désintéressés. Dès l'embarquement — à qui il a fallu non seulement leur indiquer le chemin, mais aussi les y conduire — ils se sont contentés de s'installer dans leur siège et d'y rester, sans se soucier de ce qui se passe dans le train. Ils ne demandent rien, mais n'offrent rien non plus. Que le voyage soit long ou court, qu'il y ait des accidents, que leurs compagnons débarquent avant la destination finale, rien de tout cela n'a d'importance. Ces personnes voyagent dans un état d'apathie constant. Cependant, certains parviennent à se réveiller lorsque le train fait des à-coups. C'est à partir de ce moment qu'ils sont en mesure d'interagir et de se réjouir du parcours. Aucun passager du train n'est obligé de faire tout le voyage dans le même esprit du début.


Un groupe restreint, mais dont n’importe qui peut choisir de faire partie à n'importe quel moment du voyage, est ce qu'on pourrait appeler des voyageurs éveillés. Ce sont ceux qui arrivent à assimiler les inconstances et les incertitudes du voyage. Tout au long du trajet ils seront prêts à faire des concessions et essaieront de s'adapter au mieux aux circonstances, car même ceux qui sont bien installés au début peuvent finir par devoir passer à des sièges moins confortables. Ce qui ne veut pas dire qu'ils sont indifférents à ce qui se passe ; tout comme les autres, ils sont eux aussi attristés lorsqu'un voisin débarque en cours de route et ils s'inquiètent aussi de ce qui les attend en avant, sauf qu'ils acceptent l'existence de ces aléas. Beaucoup d'entre eux sont tellement à l'aise qu'ils apprécient chaque instant de calme, sans appréhension face au prochain virage ou tunnel sombre. Ces passagers dialoguent et échangent avec leurs voisins de wagon, participent aux activités proposées par l'organisation du train et rechargent leur énergie, dans les moments les plus stressants, à la simple vue du paysage qui se déploie par la fenêtre et qui ne se répète jamais.


Il existe plusieurs types de passagers et certains sont si uniques qu'ils ne peuvent pas être classés dans quelconque catégorie. Et si on demande aux occupants qui est le chef de train (s'il y en a un), qui l’a construit ou qui l'entretient, on obtiendra les réponses les plus diverses, car comme nous disions précédemment, ce voyage est si bien mené qu'il dispense de contrôleurs et d'équipage, de sorte que personne ne peut dire avec certitude comment il a été organisé. Mais cette question est peut-être inutile : une fois à bord, le voyage aura lieu, indépendamment de la volonté de qui que ce soit. Ce qui fera la différence à la fin du parcours c'est le type de passager que chacun choisira d'être.


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2020
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