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Un pont entre deux temps

Dernière mise à jour : 23 mai 2022


Les gens me demandent si Bérénice c'est moi. J'ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à cette question et la réponse la plus simple est «non»; Bérénice est un personnage fictif, tout comme la plupart des personnages créés exclusivement pour le livre.

Ce qui ne m'empêche pas d'éprouver avec elle une grande identification, qui trouve ses origines dans plusieurs raisons, comme son amour de l'aventure et de la découverte.


Mais dernièrement, un parallèle entre Bérénice de Cappadoce et moi, entre son temps et le mien s’est présenté de manière remarquable et inattendue: la découverte d'un virus qui jusque-là, était absent chez l’homme.

Dans mes recherches sur la période romaine des IIIe et IVe siècles, j'ai trouvé le très intéressant Comment l’Empire Romain s’est effondré: le climat, les maladies et la chute de Rome (2019 Éd. La Découverte), par l'historien Kyle Harper. Dans son livre, le chercheur détaille comment la force de la nature a imposé sa volonté à Rome, qui était, selon le poète Claudien:


«Une ville plus grande que toutes les autres dans le monde que l'air atteint, dont la largeur ne peut mesurer aucun œil, dont la beauté aucune imagination peut concevoir, dont aucune voix ne peut faire l'éloge, qui élève une tête d'or parmi les étoiles voisines et avec ses sept collines imite les sept régions du ciel, mère des armes et de la loi, qui étend sa domination à travers le pays et était le plus ancien berceau de la justice, c'est cette ville qui, née de modestes origines, s'est étendue à chacun des pôles et d'une petite place a étendu sa puissance jusqu'au soleil. »

Ce discours éloquent a été prononcé lors de la visite illustre de l’empereur à Rome, qui n'était plus la capitale de l'Empire, mais qui détenait encore cette fierté de noblesse en déclin, qui accompagnait toujours ceux qui furent autrefois puissants;

Le public présent aux festivités vivait un de ces moments où les gens croient que tout est en ordre et que la vie est un fleuve tranquille; un sentiment commun chez nous, les humains, celui d'espérer que rien ne change quand tout va bien. Des animaux sauvages, amenés de toutes les régions dominées par l'Empire, ont été mis ensemble pour combattre dans l'arène, le but étant d’offrir au public un massacre qui, selon les mots de Kyle Harper, montrait que "les Romains avaient apprivoisé les forces de la nature sauvage". Face à un tel spectacle, probablement personne ne se souvenait des difficultés d’un passé pas si lointain.

Mais la roue de la fortune continuait de tourner, et cela depuis la nuit des temps. Aujourd'hui nous avons le privilège de regarder ce passé d’une longue vue. Et nous savons que Rome est tombée.

Ce qui rend l'extrait suivant inconfortablement proche de nos jours:


À des échelles que les Romains eux-mêmes n'auraient presque pas pu comprendre ou imaginer - du microscopique au mondial - la chute de leur empire était le triomphe de la nature sur les ambitions humaines. Le sort de Rome était représenté par des empereurs et des barbares, des sénateurs et des généraux, des soldats et des esclaves. Mais cela a également été décidé par les bactéries et les virus, les volcans et les cycles solaires. Ce n'est que ces dernières années que nous sommes arrivés à la possession d'outils scientifiques qui nous permettent d'entrevoir, de façon éphémère, le grand drame du changement environnemental dans lequel les Romains étaient des acteurs inconscients.

Sans trop détailler tous ces facteurs (car je sais qu'être mis en quarantaine pour étudier l'histoire n'est pas parmi vos priorités hahaha), il y a un qui est plus d’actualité que les autres: la prise d’assaut de la société par des nouvelles maladies. Parmi elles, la peste de Cyprian. Et c'est cet événement qui raccourcit le pont entre le temps de Bérénice et le mien.

En l'an 249, les gens ont commencé à tomber malades, avec des symptômes terribles (apparemment bien pires que ceux du COVID-19), et personne ne savait d'où venait cette nouvelle maladie. À son apogée, il a eu 5 000 décès par jour. Il n'y a pas de consensus parmi les historiens quant au virus responsable du chaos - parmi les candidats, la variole, un type d'Ebola ou un virus de la grippe sont les plus probables. Mais tous sont d’accord qu'il s'agissait d'un nouveau virus pour l'homme.

Il n'a pas fallu longtemps pour que la panique envahisse la population. Personne ne se faisait des stocks de rouleaux de papier toilette, parce qu'il n'existaient pas à l’époque, mais je peux imaginer la peur du contact humain, les tentatives d'isolement confortable et l'atmosphère de «sauve qui peut». En effet, les rapports des documents de la période décrivent la panique, le manque de préparation, le blâme (les païens blâment le dieu des chrétiens et vice versa), les soucis pour l'économie et la productivité.


Celle-là n'est pas la période où Bérénice a vécu, mais elle est quand même un fruits de la crise qui en suivit. C'est peut-être grâce à cette nouvelle Rome, apparue à la fin de la période, qu'elle a pu quitter sa maison et arriver vivre ce qu’elle a vécu.

L'ancien ordre qui plaçait seuls les fils de l'aristocratie au pouvoir, voyait maintenant des humbles soldats devenir des empereurs. Cette nouvelle réalité prouvait que maintenant tout était possible.


C'est peut-être parce qu'elle a également dû entendre les récits de ses aînés, qui lui ont dit à quel point tout était incertain pendant le fléau et comment ils ont tous dû se réadapter pendant la crise du nouveau virus, qu'elle a eu la force dont elle eut besoin dans des moments difficiles, étant convaincue que si tout est impermanent, alors peut-être qu’il vaut de la peine d'essayer.


La reprise économique et démographique de Rome a été lente, mais elle a donné à l'empire, déjà mourant, encore un siècle et demi de souffle avant sa fin. Rome s'est rétablie et des nouvelles normes sociales ont émergé. Les villes qui étaient autrefois puissantes ont diminué de taille et densité démographique jusqu’à perdre leur ancien prestige, pour faire place à d'autres centres d'importance.


Sachant tout cela, je me suis sentie plus calme, soulagée mon anxiété.

Comme je disais à une amie ce matin, je m'interroge sur l'avenir, mais de deux façons très différentes: d'une part, j'ai peur d'être infecté par le virus, ou pire, que quelqu'un que j'aime en soit. Mais cette-ci est une peur qui accompagne chaque être vivant tous les jours de sa vie, donc ...


De l’autre, je reste très positive sur les dédoublements historiques de cette catastrophique, qui d’ailleurs ne concerne que nous, les êtres humains (la preuve? regardez par la fenêtre les oiseaux qui chantent et les animaux qui font comme si rien n’était. Demandez en à votre chat s’il se soucie du COVID-19!). Nous allons changer les choses. Probablement ce virus est là pour nous pousser à nous poser sérieusement des questions sur notre mode de vie COVID-19!


Je suis persuadée que nous changerons les choses après cette crise. Ce virus, quelles que soient les raisons pour lesquelles il se propage, nous oblige à nous interroger plus sérieusement sur notre mode de vie et sur l'avenir que nous sommes en train de créer à nous-mêmes et aux générations futures. C'est maintenant à notre tour d'écrire un nouveau - et mieux écrit! chapitre de l'histoire de l'humanité.


Pour ceux à qui le livre mentionné dans le texte intéresse et qui veulent pour de vrai passer le confinement à étudier l'histoire, voici la référence : Comment l’Empire romain s’est effondré: le climat, les maladies et la chute de Rome. HARPER, Kyle, 2019. ISBN-10 : 2348037149



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